Des lieux où on est à l’aise - le mouvement apostolique laïque des Équipes du Rosaire

, par  frère Franck Guyen op , popularité : 67%

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En septembre 2024, j’ai été nommé aumônier régional des Équipes du Rosaire pour la région des Hauts-de-France. Pour mieux comprendre ce mouvement apostolique laïc fondé par le père dominicain Eyquem, j’ai lu le livret « Histoire et Esprit » du mouvement.

Sa lecture m’a convaincu, s’il en était besoin, de l’efficacité d’un mouvement alliant prière mariale et méditation christique, bien au-delà de la simple récitation du chapelet qu’évoque son nom. J’ai été particulièrement frappé par la pertinence de l’évangélisation du « seuil » proposée par le père Eyquem face à la pauvreté spirituelle qu’il diagnostiquait déjà en 1945.


Le père Eyquem a été guidé selon moi par quatre convictions :

  1. le souci de ceux qui ont peu
  2. demander peu mais avec exigence
  3. des maisons « où l’on est à l’aise »
  4. un mouvement missionnaire laïc

Nous conclurons sur l’image du trépied qui récapitule la dynamique des Équipes du Rosaire.
En annexe, nous entendrons la description que font deux papes de ce mouvement apostolique laïc.

  1. Annexe : ce qu’en disent deux papes


1. Le souci de ceux qui ont peu

Le père Eyquem décrivait ainsi les fidèles de 1945 :

« À qui s’adresse le plus souvent notre ministère ?
Parlons francs. Au public que nous rencontrons dans les églises. Dans les églises, qui trouvons-nous ?
Où sont les hommes, les jeunes gens, une partie des jeunes filles, les femmes mariées ? Ne disons pas ceux ou celles qui restent pour ne froisser personne. On conviendra que l’auditoire auquel on a l’habitude de s’adresser offre assez peu de besoins.
Un conseil souvent donné aux jeunes prédicateurs est celui-ci : "Et surtout adaptez-vous". Mais s’adapter à quoi ? Où qu’on aille, on a l’impression de rencontrer les mêmes habitués ! Les mêmes demoiselles, les mêmes vieilles dames.
… La question pour le prédicateur n’est pas de savoir s’il pourra subvenir aux besoins de son auditoire, mais de savoir si son auditoire en a. » [1]

Les personnes qui ne fréquentent pas l’Église souffrent par contre d’un climat spirituel glacial, générateur de solitude au niveau individuel et d’injustice au niveau collectif.

« … il est devenu nécessaire de se pencher non seulement sur la misère spirituelle des âmes, mais sur les tares sociales et les déficiences économiques qui les maintiennent en dehors du christianisme.
Il faut de toute nécessité aider les hommes à vivre en chrétiens. Les foules écouteront d’une oreille distraite les leçons des prédicateurs si elles gardent l’impression que ceux-ci ne se rendent pas assez compte de l’héroïsme qu’ils leur demandent, et ne font rien pour créer autour d’elles un climat plus humain.

Les deux caractères particuliers à la société d’aujourd’hui, l’embrigadement des masses (...) et le matérialisme des doctrines posent donc aux missionnaires deux ordres nouveaux de problèmes : la réintégration des masses dans les communautés naturelles et surnaturelles qui leur seront nécessaires, et la création d’un climat humain. » [2]


2 - demander peu, mais avec exigence

Pour amener les hommes sur le seuil de l’Église, le père Eyquem conseille de demander peu », et non trop , car ils ne sont pas encore en état d’absorber des « nourriture solide », pour reprendre saint Paul.

« Il fallait donc, sans hésiter, sortir des églises et du milieu pratiquant pour s’avancer dans ce désert où nombre de baptisés achèvent de perdre le peu qu’ils ont. Il fallait aussi consentir à ne rien demander à cette multitude qu’elle ne pouvait porter : ni pratique sacramentelle, ni engagement d’aucune sorte.
Non pas qu’on estime qu’une vie chrétienne développée puisse se passer des sacrements ou d’un engagement d’Église, mais cela doit venir de la vie, d’une santé retrouvée. Il ne sert à rien de tirer sur le blé en herbe pour qu’il pousse plus vite. Il y a des impatiences qui sont fatales au développement de la vie ! » [3]

Cela dit, il ne s’agira de demander moins jusqu’au point de ne plus rien demander du tout : le peu dont parle Eyquem n’est pas sans exigence.

  • Exigence dans la visée : le moment venu, les personnes devront faire l’expérience personnelle de la rencontre avec le Christ ressuscité, et sur le plan communautaire elles devront franchir le seuil de l’Église pour participer à la vie de l’Église, à ses sacrements et à sa mission.
  • Exigence quant aux moyens : l’équipier du Rosaire participe à la vie de son équipe, et assume les exigences qui vont avec : la régularité dans la fréquentation des réunions, l’ouverture de sa maison pour accueillir l’autre

Certes, il ne s’agit plus de réciter un chapelet entier (le « trop » vu plus haut) mais seulement un mystère avec sa dizaine d’Ave et ses clausules (le « peu » vu plus haut), mais l’exigence qualitative se substitue à l’exigence quantitative :

Pourquoi une seule dizaine ?
Car l’effort est présent tout au long de la Prière en Commun des Équipes du Rosaire ! Il faut secouer la paresse et la routine pour que les lectures soient bien faites, pour que les silences soient respectés, pour que les chants, comme il est souhaitable, soient correctement exécutés.
La Prière en Commun suppose même une certaine préparation de la part de tous ceux qui ont un rôle à jouer : la maîtresse de maison, le responsable, les lecteurs... On conviendra même que c’est un peu plus difficile que la simple récitation du chapelet…/.. [4]

L’exigence d’un esprit communautaire est la plus forte de toutes les exigences : elle demande de savoir ouvrir sa maison pour accueillir la réunion mensuelle :

En effet, pour faire la prière en commun, une fois par mois, dans une maison, il s’agit d’apprendre aux laïcs à ouvrir leur porte. «  Accueillir chez moi, on verra les meubles que j ’ai. On verra si mon ménage n’est pas fait. On va salir mes planchers !  »
Cela suppose une lutte contre l’individualisme. « Pourquoi se retrouver pour prier ? On peut aussi bien prier tout seul.  »
Accueillir chez soi suppose qu’on ne contourne pas les difficultés : « C’est bien mieux de prier à l’église. L’église est faite pour ça  ».
Mauvais prétexte pour dissimuler un refus, celui d’ouvrir la porte de son cœur en même temps que celle de sa maison. [5]

L’esprit communautaire exige aussi de savoir passer par-dessus les frictions inévitables entre les personnes. Cette exigence fait appel à la foi chrétienne :

Cela suppose aussi que l’on comprenne que tout homme est un frère, et que, par conséquent, il n’y a pas de rancune ou de blessure qui puisse résister au pardon chrétien : « Je ne veux pas accueillir la prière en commun chez moi, parce que je suis fâché avec untel... »
Cette réponse heureuse et charitable au problème de la déshumanisation par la solitude rend aussi les Équipes du Rosaire propres à rivaliser actuellement encore avec les mouvements religieux non-catholiques divers, qu’on les dise nouveaux ou plus sectaires. [6]

A ce sujet, certaines personnes en trop grande souffrance psychologique n’arrivent pas à entrer dans cet esprit communautaire : après avoir objectiver la situation en s’appuyant sur d’autres équipiers et sur les responsables au dessus de lui, le responsable d’équipe signifiera à ces personnes en souffrance que leur état actuel ne leur permette pas de continuer leur participation dans l’équipe. Il leur conseillera si cela est possible d’entreprendre une démarche thérapeutique, condition indispensable pour qu’ils puissent revenir dans leur équipe.
(Rappelons la distinction entre les registres spirituels et psychologiques : les Équipes du Rosaire ne sont pas outillées pour soigner les handicaps mentaux lourds qui requièrent des soins de professionnels de la santé.)


3. des maisons « où l’on est à l’aise »

La pédagogie du seuil du père Eyquem – demander peu avec exigence – passe par la prière mariale, Marie pouvant être plus facile à approcher que Jésus pour des commençants. Une fois que l’équipier aura pris Marie chez lui tel le disciple bien aimé dans l’évangile de Jean, le Fils ne tardera pas non plus à y venir.

Le père Eyquem a composé une prière à Marie où la Mère et le Fils viennent ensemble.
Sa prière montre aussi l’importance de la « maison », du lieu de vie personnel où l’équipier reçoit. Cette « maison » est un lieu de réconfort, de guérison, de relèvement, c’est là que règne le « climat humain » cher au père Eyquem, là où les hommes brutalisés par les idéologies aliénantes peuvent retisser des liens humains (liens horizontaux) et spirituels (liens verticaux).

Vers toi je lève les yeux, Sainte Mère de Dieu ;
car je voudrais faire de ma maison une maison où Jésus vienne, selon sa promesse, quand plusieurs se réunissent en son nom.
Tu as accueilli le message de l’ange comme un message venant de Dieu, et tu as reçu, en raison de ta foi, l’incomparable grâce d’accueillir en toi Dieu lui-même.
Tu as ouvert aux bergers puis aux mages la porte de ta maison, sans que nul ne se sente gêné par sa pauvreté ou sa richesse.

Sois Celle qui chez moi reçoit.
Afin que ceux qui ont besoin d’être réconfortés le soient ;
ceux qui ont le désir de rendre grâce puissent le faire ;
ceux qui cherchent la paix la trouvent.
Et que chacun reparte vers sa propre maison avec la joie d’avoir rencontré Jésus lui-même, Lui, le Chemin, la Vérité, la Vie.


4. un mouvement missionnaire laïc

Le père Eyquem reconnaissait sa dette envers deux femmes laïques, Pauline Jaricot (1799-1862) et Colette Couvreur.

Pauline Jaricot avait fondé un mouvement évangélisateur de spiritualité mariale pour les chrétiens éloignés de la foi.

“Aujourd’hui [comme à l’époque de Pauline Jaricot, fondatrice du Rosaire Vivant], nous nous heurtons dans nos paroisses à un même refus de la part des 80 % de non-pratiquants (refus de prière et de méditation) ; et l’accueil des 20 % de pratiquants n’est guère moins décevant. Je désire donc apporter aux mêmes maux les mêmes remèdes.” [7]

Colette Couvreur de son côté a eu l’idée « des réunions tenues à domicile et sans la présence d’un prêtre ». L’idée d’une réunion régulière, tenue chez un laïc, où l’on médite l’Évangile et où l’on prie Marie sans la supervision d’un clerc était à l’époque suffisamment novatrice pour que le père Eyquem demande d’abord l’accord de son archevêque, Monseigneur Garonne de Toulouse.

Je craignais l’opposition des curés et des aumôniers d’Action Catholique, surtout pour des réunions tenues à domicile et sans la présence d’un prêtre. Je dois certainement à Madame Couvreur d’avoir sauté le pas, non sans toutefois prendre l’ultime précaution de demander l’autorisation expresse de l’Archevêque de Toulouse, en lui donnant le temps d’y réfléchir à loisir. [8]

Loin de toute mentalité « cléricale », le père Eyquem rappelait que la maison du laïc pouvait être un lieu de prière et de méditation de la Parole de Dieu :

C’est une idée chère aux Équipes du Rosaire : la maison d’un chrétien est une maison de prière. C’est pourquoi la Prière en Commun, une fois par mois, peut y trouver son lieu normal. Il serait dangereux, en effet, et bien éloigné de l’Évangile, de croire que pour prier, il faille presque nécessaire¬ment se réunir dans une église.

Sans doute, l’église est, par excellence, la maison de Dieu parmi les maisons des hommes. Et c’est dans l’église que, d’une façon privilégiée le Peuple de Dieu se rassemble chaque dimanche pour célébrer l’Eucharistie.
Mais le chrétien lui-même est une mai¬son de Dieu ; il est un édifice vivant, une pierre vivante, disait l’apôtre Pierre, un édifice où Dieu demeure. … alors la maison que nous habitons à longueur de vie, si nous sommes laïcs, devient, elle aussi, une maison de Dieu. C’est là que Dieu donne sa grâce. C’est là qu’il parle aux cœurs. ...

Aussi, est-ce avec raison que toute la maison habitée par des chrétiens doit porter de façon visible la marque du Christ : un crucifix en bonne place. Et aussi l’image de la Vierge de qui le Christ est né, et qui est à la fois notre modèle, notre sœur, notre Mère.
… Les Équipes du Rosaire rendent ainsi témoignage que le Dieu des chrétiens est un dieu proche, et que les hommes, tous les hommes sont sa famille. [9]

Si le père Eyquem a voulu transmettre la direction du mouvement des Équipes du Rosaire, il ne renonçait cependant à l’articulation avec la hiérarchie ecclésiastique, la hiérarchie laïque devant rendre compte de son activité à l’ordinaire du lieu dans le respect des rôles de chacun.
Le père Eyquem tenait aussi à la relation intime du mouvement avec l’Ordre des prêcheurs dont il faisait partie. Si les Équipes du Rosaire ne faisaient pas partie de l’Ordre à la manière des Fraternités laïques dominicaines, elles devaient se nourrir de son charisme d’intelligence de la foi en Jésus Christ et de sa spiritualité mariale.

“Ce qui est en cause, c’est bel et bien le lien entre les Équipes du Rosaire et de l’Ordre de saint Dominique. J’ai toujours affirmé de la façon la plus claire qu’en fondant les Équipes du Rosaire je voulais appeler un laïcat à participer à la mission de l’Ordre. Il n’a jamais été question pour moi de comprendre le contraire : c’est-à-dire que des Dominicains, et de façon combien parcimonieuse, participent à la mission des laïcs, dans la mesure encore où ceux-ci le voudront bien.” [10]

Dans ce passage, le père Eyquem proteste contre une vision où les responsables laïcs organiseraient la mission des Équipes à leur guise, en faisant appel anecdotiquement aux frères dominicains.

« Les Équipes du Rosaire ne sont donc pas moins d’Église parce qu’elles affirment avec force leur union intime à l’Ordre de saint Dominique. Elles ne renoncent d’ailleurs pas pour autant à une nécessaire autonomie et ne se considèrent pas le moins du monde comme un laïcat dominicain.
Ce qui intéresse les Équipes en effet ce n’est pas l’appartenance à une famille religieuse, c’est la manière dont cette famille sert l’Église et les dons de l’Esprit qu’elle a reçus pour cela. » [11]


Conclusion : le trépied

Les Équipes du Rosaire mettent volontiers en scène un tabouret – un trépied – dans leur publication. Je me permettrai de reprendre cette image en la commentant à ma façon : les trois pieds sont la prière mariale la méditation christique, et la communauté « naturelle et surnaturelle » de l’équipe ; à eux trois, ils assurent le soutien de l’assise, l’annonce de la Bonne Nouvelle par la parole et par l’exemple vivant.

Le trépied – tabouret figure dans la fresque de l’Annonciation à l’entrée du premier étage du couvent de Saint-Marc à Florence. On se rappellera que Marie était comparée à un triclinum, un tabouret, sur lequel repose la sainte Trinité.


Annexe – ce qu’en disent deux papes

Le portrait des Équipes du Rosaire par saint Paul VI

« Petits groupes de prière missionnaire en plein monde, fraternels et accueillants, vous suscitez, avec l’authentique simplicité de l’Évangile, la mise en commun de vos soucis et aspirations.
Et ensemble, vous cherchez dans un climat de prière mariale, à approfondir ou à retrouver votre foi, à découvrir le merveilleux plan du salut de notre Dieu, et bien sûr, ce qu’il attend de vous.
Le Rosaire devient ainsi pour vous un véritable aliment de la foi.
Prenant donc le Rosaire comme moyen de prière, d’union fraternelle et d’activité apostolique, les Équipes du Rosaire ont pour but de créer partout de petites communautés de prière autour de la Vierge Marie et d’inviter leurs membres à méditer l’Évangile, à le vivre et à l’annoncer. »
Paul VI, audience du 19 mai 1971

La salutation de saint Jean-Paul II

J’adresse un salut spécial aux délégués des Équipes du Rosaire, venus de France et d’Outre-mer, ainsi qu’à leurs responsables religieux et laïcs.
Vous avez eu le bonheur d’être un jour invités à entrer dans un mouvement d’Église, à la fois marial et missionnaire. Rendez grâce à Dieu et apportez votre contribution spéciale dans le concert légitime des mouvements d’apostolat.
Ayez une piété ardente, éclairée et ecclésiale vis-à-vis de Marie, et toujours dans le but de vivre profondément votre union au Christ et l’adhésion à son message évangélique, et donc d’accomplir un travail apostolique concret dans votre milieu et vos tâches quotidiennes.
Que la paix et la joie du Christ rem plissent vos cœurs et que le secours maternel de Notre Dame vous donne toujours confiance.
Audience générale, mercredi 23 mai 1984


Frère Franck Guyen, op – avril 2024

[1Propos du père Eyquem en 1945 – Histoire et Esprit p.25

[2Propos du père Eyquem, septembre 1945 – Histoire et Esprit p. 29

[3Propos du père Eyquem en 1971 – Histoire et Esprit p. 25

[4Propos du père Eyquem en 1971 – Histoire et Esprit p. 49-50

[5Propos du père Eyquem en 1971 – Histoire et Esprit p. 29-30

[6Propos du père Eyquem en 1971 – Histoire et Esprit p. 29-30

[7père Eyquem 1.09.1955 – Histoire et Esprit p.9

[8Père Eyquem, 31.3.1989 – Histoire et Esprit p. 51

[9Courrier des Responsables, 1966 – cité dans Histoire et Esprit p. 30-31

[10Père Eyquem, 2.11.1973 – Histoire et Esprit p. 43

[11Père Eyquem, 22.5.1976 – Histoire et Esprit p. 45

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